Réf.
Biblio. :
BAZIN H [2002],«Hip-Hop Dance :
Emergence of a Popular Art Form in France » in
Black , Blanc,
Beur. Rap music and hip-hop culture in the francophone world »,Éditions Scarecrow Press, USA.
Espace public et Nouveau théâtre
Une autre manière de résister à une domination est de jouer sur
plusieurs espaces de manières alternatives. On peut fréquenter les centres
chorégraphiques et continuer les entraînements dans la rue. Cette capacité
d’investir plusieurs niveaux d’accessibilité, plusieurs types de scène, est
aussi le propre de la forme populaire.
C’est une façon de déjouer le caractère évolutionniste qu’attribue
la culture dominante à la culture populaire : le hip-hop partirait du
« bas » vers le « haut », du social vers l’art, de la rue
vers le théâtre.
Cette manière de qualifier les compagnies de danse comme
« issues » du hip-hop voudrait signifier que le hip-hop n’est qu’une
catégorie intermédiaire vers l’accession à la « véritable danse ».
Cette assignation esthétique à un point d’origine (sociale et territoriale)
conduit à une explication du travail artistique avant sa réception publique.
Cela est typique d’une volonté de contrôle à la fois symbolique, esthétique et
économique de la production des émergences culturelles.
Les compagnies hip-hop ne considèrent pas le « monde de la
rue » et le « monde de l’art
[1] »
en termes d’opposition. Choisir l’un contre l’autre serait renoncer soit à
l’expérimentation de la recherche artistique, soit au développement collectif
d’une culture et d’une éducation populaire. Or, le principe de l’art populaire
est de pouvoir jouer sur les deux versants pour tirer vers le haut l’exigence
(rigueur de travail, qualité de réception, envie d’apprendre) pas seulement
pour une élite mais pour une population toute entière (artistes, pratiquants
amateurs, publics, supporteurs).
Ainsi, pour les compagnies, la professionnalisation ne signifie
pas le passage d’un univers à un autre mais la capacité d’accroître une
mobilité et une dynamique entre les deux grâce à une double légitimité. L’une,
d’ordre culturelle, est une reconnaissance auprès de leur pairs comme référent
(« maître ») dans le mouvement hip-hop ; l’autre, d’ordre
artistique, est une validation auprès des institutions comme danseur-chorégraphe
avec un soutien financier de la compagnie.
L’individu ne cesse pas d’être « hip-hop » en changeant
d’espace à partir du moment où la forme garde les mêmes principes de
structuration sociale et culturelle.
C’est l’exemple du cercle et du free-style : Espace-temps
socioculturel de redistribution collective où le public devient acteur d’une
scène ouverte en étant invité à rentrer dans le cercle de la danse. C’est un
lieu d’expression de figures libres, de compétition, de validation des acquis,
d’appréciation des maîtrises où sont mesurées les influences stylistiques du
moment, mais aussi où sont appris les codes d’entrée dans le cercle d’une
famille esthétique. Ici s’effectue une transmission, un apprentissage en direct
sous un mode d’échange qui s’apparente au don (accessibilité, unité,
individualité). Le défi à travers le free-style et l’improvisation, est le
moment privilégié d’une expérimentation collective. Ce qui est appelé également
performance, reprend la conception d’une œuvre en mouvement où le processus
s’avère aussi important que le résultat auquel il mène.
La première scène commence dans l’espace urbain sans passer par
les codes académiques, l’examen des lieux consacrés à la culture par la
culture. De la scène de la rue à celle du théâtre contemporain, les danseurs
ont intégré d’autres contraintes tout en cherchant à préserver leur liberté.
L’accès aux théâtres ne consacre pas une « montée » de la danse de
rue vers la scène, mais une « descente » de la scène vers le public.
L’art hip-hop favorise aujourd’hui au sein des théâtres, une
circulation des publics, le décloisonnement des genres, une réappropriation de
la relation esthétique entre œuvre, artiste et public. La dimension artistique
ouvre un espace dans la vie en restituant à la collectivité la capacité de
développer une communication esthétique dévolue habituellement au cercle des
médiateurs, experts ou critiques. Les arts populaires seront rarement
considérés comme “ beaux-arts ” parce qu’en “ qualifiant
d’esthétique le jugement du goût et l’expérience du beau et du sublime, les
théoriciens ont aussi essayé de développer et de réformer ces expériences dans
certaines directions ”
[2].
La place de la danse hip-hop nous renvoie à la question du
« spectacle vivant », sa portée et sa signification contemporaines
comme forum public et lieu de constitution de nouveaux référentiels
esthétiques. Au public de juger cette fonction de l’art qui est de nous
éclairer sur la complexité d’une réalité en mouvement, de nous faire accéder à
une vision intelligente de l’être engagé dans le monde. L’accession à un
certain mode d’être, prime sur l’accomplissement d’une œuvre finie. C’est un
équilibre vital, tendu, précaire, éphémère…
[1] Dans le sens
donné par BECKER H.S. [1982],
Arts Worlds.[2] SHUSTERMAN R. [1992],
Pragmatist
Aesthetics : Living beauty, rethinking art.