Hip hop, oublié de la politique culturelle En France, la
culture est une affaire d’État. Une particularité censée être un gage
de diversité. Or, la place accordée aux disciplines urbaines et à leurs
acteurs remet en cause l’efficacité supposée d’une telle tradition, son
intention égalitaire. New York, 17 décembre 2001. Jean-Marie Messier, alors président du groupe Vivendi-Universal, affirme : «
L’exception culturelle française est morte. »
Sa déclaration fait l’effet d’une bombe. Médias, artistes, hommes
politiques, tous rejettent l’idée que la culture puisse devenir un
enjeu de la mondialisation.
Cette fameuse exception française, élargie dorénavant à l’Europe,
trouve son sens dans son opposition au modèle américain : vision
sociale et artistique contre logique économique et marchande. D’un
côté, les USA, hostiles à tout interventionnisme gouvernemental,
demandent la soumission de la culture aux règles de libéralisation
intégrale. De l’autre, la France refuse ouvertement de la soumettre aux
lois de l’offre et de la demande (et à la mainmise de l’impérialisme
américain), et parvient à faire adopter par l’Unesco1 en 2005 une
« Convention sur la diversité des expressions culturelles ». Ok… mais
quelle culture souhaite bâtir l’État français avec l’argent public ?
Si nos dirigeants déclarent veiller fermement au respect de la diversité culturelleau niveau mondial, cette rigueur ne semble bizarrement plus de mise
dans le cadre national. Preuve en est le manque de reconnaissance du
mouvement hip hop, symbole de la culture urbaine.
Après plus de vingt ans d’existence en France, ce phénomène de masse,
importé des USA, possède sa propre identité hexagonale. Pourtant, son
rayonnement reste très limité : aucune émission télé spécialisée, aucun
festival digne de ce nom (à l’exception des Rencontres urbaines de la
Villette et du festival Change of direction), une représentation
réduite dans les lieux artistiques… La présence du hip hop sur les
scènes nationales (lire encadré) se résume souvent à une démonstration
alibi aux forts accents exotiques.
Quel festival de danse contemporaine osera programmer Les Vagabonds, vainqueurs du Battle of the year 2006 ?
L’attention portée au
Battle of the year 2006(équivalent du championnat de France de danse hip hop) témoigne, une
fois de plus, d’un traitement inégal : seuls Les Vagabonds, vainqueurs
de la compétition et futurs représentants de la France sur le plan
international, se sont vu assurer une promesse officieuse de
programmation dans des festivals de danse contemporaine. Une compagnie
parmi des centaines…
Combien d’artistes du genre, hormis une poignée de
rappeurs intégrés à l’industrie du show-biz, peuvent actuellement se
prévaloir de vivre de leur activité ? Une mise en quarantaine qui
pénalise non seulement la création d’emplois, mais finit par nuire à la
qualité des créations artistiques.
De l’avis de nombreux observateurs, la ghettoïsation du
mouvement hip hop a entraîné sa stagnation : arrivé à maturité depuis
plusieurs années, il n’a pu bénéficier d’un espace de dialogue avec les
autres arts modernes. Longtemps considérée comme une place forte, la
France n’exerce plus son influence d’antan, les nouvelles formes de hip
hop prennent corps hors de ses frontières.
Avis aux défenseurs de la précieuse exception française :pour atteindre leur plénitude et enrichir la diversité de notre
culture, les arts issus des quartiers populaires doivent pouvoir
profiter des mêmes moyens de développement que les autres disciplines
contemporaines. Il est temps que la condescendance des institutions
laisse place à une prise en compte des ambitions et des sensibilités
d’une jeunesse au formidable potentiel, sous-exploité.
Abdelkrim Branine.
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